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dimanche 10 mars 2024

Quelqu'un est parti, hommage à Pascal Percq


A droite Pascal Percq à côté d'André Verdière l'organisateur des 24h en 1979

Préparatifs de la 1ère édition des 24h,
P.Percq couvre l'évènement pour Nord Eclair
.
Quelqu'un est parti le mois dernier, Quelqu'un que j'aurais aimé rencontrer pour recueillir son témoignage sur les débuts de la ville nouvelle.
A travers mes recherches et mes interviews, j'ai collecté de nombreux documents, articles, images et même des vidéos où Pascal Percq raconte la Ville Nouvelle, Journaliste Local au moment de sa construction, il est un des témoins de la fusion des 3 villages. Un de ses articles relate la genèse de cette ville et les difficultés à retranscrire le plus fidèlement possible les évènements durant sa création
.
extrait du document " Lille-Est Ville Nouvelle de la Métropole du NORD 1976


Un journaliste raconte

 

Devenu «localier» pour un quotidien régional au moment où se décidait la ville nouvelle, Pascal Percq a pu en suivre le développement au jour le jour. Il  dit comment il a vu trois villages se transformer en ville.
Un journaliste dans une ville nouvelle, ce n'est pas exactement ce chroniqueur aux longs favoris des westerns, partageant la vie des pionniers bâtisseurs de ville !
Le parfum d'aventure n'est cependant pas absent d'une telle opération d'urbanisme.Mais sur les chantiers, la poussière est soulevée moins par les sabots des chevaux que par les chenilles des <scrappers lancés dans la plaine ! Le temps des pionniers n'est qu'une image. Lille-Est ne se construit pas dans le désert. C'est une de ses originalités d'ailleurs. Si les lieux se transforment rapidement, la ville ne se fait pas pour autant en un jour. Les villages d'hier se métamorphosent peu à peu.Le journaliste-témoin suit quotidiennement cette patiente évolution. Si l'urbaniste modèle le terrain, l'habitant invente la vie. Le journaliste, lui, rend compte, traduit, commente, reflète en un mot, il informe. Ascq, Annappes et Flers, ça voulait dire la campagne > pour nombre de citadins lillois et rou baisiens.Qui aurait pensé qu'un jour la ville enjamberait le pont d'Hellemmes» Cet ouvrage séparait les faubourgs des champs. Aujourd'hui le quartier du Triolo s'élève à la place du silo de la co
Quartier Triolo
opérative agricole. L'Université a chassé les lapins.
Flersois, Annappois et Ascquois sont maintenant Villeneuvois... Comment les villages ont-ils vécu cette transformation progressive ? Même édifiée en un temps record autrefois il fallait des siècles une ville ne se fait pas en un jour.
La transition d'un mode de vie rural à celui d'un type urbain n'est pas sans effet sur les mentalités. Certes, d'autres éléments interviennent. Les moyens de diffusion collective ont déjà apporté la < ville à la campagne. Une opération d'urbanisme aussi vaste que « Lille-Est > n'est-elle pas aussi le prolongement de ce processus?
L'enthousiasme et la crainte. La ville sur le papier bleuté des plans de l'aménageur et la vie à l'ombre des clochers sont deux mondes que tout sépare à l'origine. L'un et l'autre s'ignorent. Seul le temps permettra de les superposer.

Cette distinction se retrouve dans les colonnes du quotidien régional. Ce n'est pas en rubrique locale que l'on présente en 1967 et 1968 le schéma de la ville nouvelle mais en page régionale.
Longtemps Lille-Est sera « il- localisée ». Les informations y ayant trait sont générales», ne s'adressent pas à une population en particulier.
Dans le même journal, quelques pages plus loin, sous chacune des localités concernées par le projet, l'information primordiale, à cette époque, c'est la rubrique d'état-civil. Une liste de noms. dont aucun n'est anonyme pour les habitants de ces communes. Cette liste représente des visages connus de tous.
La vie, la mort, les joies et les peines d'une communauté transparaissent dans ces quelques lignes...
Aménageurs et habitants ont peu de choses à se dire. Les propos divergent totalement. Là on affiche l'enthousiasme des bâtisseurs de ville. Ici on craint de perdre son âme. Ce dont le journaliste est témoin, tout d'abord, c'est de l'émotion suscitée par les premières décisions en 1967. Face à la ville étrangère», la population est sur la défensive. Quand la menace se précise, la colère gronde. Mais on ne gouverne pas avec des états d'âme et l'intérêt public passe avant l'intérêt particulier. En s'affrontant les deux mondes se rapprochent. Et si l'on exproprie encore. l'on met ensuite un peu plus de formes qu'avant.
Le vertige du journaliste. Sur le terrain. le chantier naissant est un spectacle L'on devient circonspect et curieux. On attend du journaliste qu'il explique ce qui se passe.
Que construit-on à l’emplacement de l'ancienne brasserie ?

Qu'advient-il du tracé de l'antique route Lille-Tournai? Autant de questions en rapport avec la vie de tous les jours qui déjà se trans forme. Le journal tente d'y répondre. Les déclarations des élus exacerbent cette curiosité La fusion des trois anciennes communes d'Ascq, Annappes et Flers, en 1970, est le signe qu'une nouvelle étape se franchit. Désormais les habitants sont Villeneuvois et donc Si cette ville nouvelle suscite des convoitises, ils n'en sont que plus fiers! De catastrophe, Lille-Est devient le paradis. Rien n'y est impossible. Métro, stade, piscine, patinoire, route 128.... Ce n'est pas la lune mais presque... La formule ville nouvelle vie nouvelle est tentante...
Cette vision utopique ne sera abandonnée qu'avec l'apparition des nouveaux quartiers. Face à ce vertige, le journaliste est bien près de perdre pied lui aussi. Comment peut-il saisir une réalité alors que tout n'est encore qu'avant-projet ? De plus, il doit faire front, face à de multiples sources d'information. Chacun veut interpréter sa partition dans ce chorus. A leur descente d'hélicoptère, il écoute les ministres venus contempler le site ». Il est attentif aux décisions du conseil de Communauté Urbaine.
Les conférences de presse en- vahissent son agenda. Il emprunte régulièrement l'ascenseur qui le mène au 19 étage de la Cité Administrative à Lille où l'EPALE s'est installé provisoirement. Il est inondé d'informations ve- nant autant de Paris que de la capitale des Flandres et même des riverains. Car les élus locaux ne veulent être de reste. Ils ont aussi leur point de vue. De même chacun des partenaires », pro- moteurs immobiliers, responsables d'administrations intéressées par l'un ou l'autre des projets.
C'est l'époque du quatrième pôle de la Métropole, du Quartier Latin de Lille-Roubaix- Tourcoing. Dans cette cascade de dossiers, le journaliste doit déceler celui qui a le plus de chances d'aboutir. Déterminer la part du rêve... Il lui incombe de hiérarchiser la grandeur!  A peu près en même temps, il digère le SDAU, se préoccupe des plans d'occupations des sols, s'inquiète de la répercussion du phénomène ville nouvelle dans l'agglomération urbaine de la Métropole mais aussi dans les communes rurales voisines.
Il découvre enfin le monde merveilleux des automatismes en s'initiant aux techniques du métro, à boucles, puis sans boucles. Devant cette avalanche d'informations, il doit enregistrer, trier. dire, mais garder le contact avec une population locale qui souhaite toujours en savoir davantage. Il lui faut remodeler sans cesse sa  vision personnelle de l'ensemble du projet.
Quartier Cousinerie - Les Coursives

Parallèlement, la fusion a introduit une certaine dynamique dans la vie locale. La vie politique quasi-inexistante trois ans plus tôt apparaît. Dans le domaine sportif et culturel, les associations se rassemblent au sein d'offices municipaux. La perspective ville nouvelle est un élément moteur: de nou- veaux équipements se profilent à l'horizon.

Les Villeneuvois apprennent ainsi à se connaître. Ils se découvrent bien des points communs. Les responsables des sociétés locales mettent sur pied des réalisations qui rencontrent le succès. Ça marche si bien que l'on est tenté de <fédérer toutes les activités existant sur la commune, y compris les sociétés colombophiles ! C'est là une démarche sensible. Une tentative pour recréer le village à une autre échelle. Ce sera possible quelques temps, pas indéfiniment. Car de nouveaux besoins apparaissent.


rocade Est - et le centre Commercial
Ce sont les premiers symptômes de la ville qui se manifestent. Le premier poisson. Au fur et à mesure qu'elle se réalise la ville nouvelle » perd de son mythe. Elles n'en devient que plus crédible». En 1973 elle se contente d'être un quartier de la Métropole. Villeneuve d'Ascq devient une ville dès l'instant où elle sécrète de nouveaux types de relations A ce stade, la notion de service tend à être développée. Les permanences sociales se multiplient. Les médecins de- viennent plus nombreux, non pas que les gens soient plus souvent malades mais la population augmente. Certes, il y a des lacunes. Elles engendrent des récriminations. En 1974, un commissariat de police vient prendre place à côté de la brigade de gendarmerie. De nouvelles écoles s'ouvrent. Dans le journal cette information-service prend de l'importance. On touche aux domaines les plus divers.

Villeneuve d'Ascq mange la page qu'elle ne faisait qu'entamer. Dehors les bruits changent. La rumeur de la rocade, le klaxon d'une voiture de police, sont caractéristiques: c
e sont des bruits de ville. Les sens trompent rarement. C'est à de tels signes que l'on se rend compte que désormais on est en ville. D'ailleurs il suffit de regarder autour de soi. Annappes n'aperçoit plus le clocher de Flers. Un flot de circulation automobile emprunte des itinéraires bouleversés. Les loisirs eux-mêmes ont changé. Dans les anciens quartiers on attend surtout des distractions de cette ville nouvelle. Le théâtre, le cinéma, tous ces équipements de ville auxquels les habitants n'avaient pas droit jusqu'à maintenant.
Une salle s'ouvre, puis deux. Le parc urbain attire les foules le dimanche. La ville nouvelle est sans doute née le jour où l'on a pêché le premier poisson au lac Saint-Jean! Les milliers de pro- meneurs des journées porte ouvertes de l'EPALE attestent que la ville nou- velle est entrée dans les mœurs. La ville, alors, existe bien. Mais on s'aperçoit que le grand village rêvé n'est plus possible.
Les infra- structures éloignent les quartiers les uns des autres. Fatalement. Il se développe alors dans chaque secteur, dans chaque flot, une vie propre, intense.
Les nouveaux habitants arrivent et s'organisent. Un nouveau style de vie locale, différent de celle des anciens quartiers apparaît. Au moulin d'Ascq, au Hameau Saint-Sauveur ou au Triolo.
Face à une telle diversité il n'est pas question d'intégrer les nouveaux quartiers aux anciens. Les différences existent, il convient d'en tenir compte. On ne peut pourtant s'ignorer.... >Si les quartiers ont leur vie propre, ils ont aussi leur langage. On n'utilise pas le même vocabulaire à Annappes et au Triolo. La racine n'est pas totalement disparue...
L'influence de l'Université n'est sans doute pas étrangère à ces nuances de l'expression orale. Bien ra res seraient les nouveaux habitants qui pourraient suivre une partie de piquet un dimanche après la messe, à la Maison Commune... Tous ne sont pas cependant des étrangers. La construction de nou veaux logements permet à une frange de l'ancienne population de se loger sans devoir émigrer». Ces trans plantés assureront-ils une certaine liai- son entre les différents secteurs?

Cela commence à poser quelques problèmes notamment dans l'utilisation des équipements de quartier, halles de sport, LC.R. (local collectif résidentiel).... Les préoccupations des habitants du Triolo sont étrangères aux habitants du <vieil Annappes et vice-versa. La ville. < rassemblée» sur elle-même, éclate soudainement. Les centres d'intérêt différent. C'est flagrant dans la pratique sportive. Dans les anciens quartiers, les clubs sont très attachés à la compétition. Dans les nouveaux quartiers on est plutôt attiré par le sport de loisirs », non compétitif. . Ce décalage est reflété inévitablement dans la chronique locale du journal. A côté des nombreuses manifestations des sociétés-elles sont plus de cent à assurer une animation traditionnelle - on souligne par comparaison l'aspect original d'initiatives prises dans les nouveaux quartiers. C'est le troc aux fleurs du Moulin d'Ascq. La conception d'espaces de jeux pour enfants pat les résidents du Triolo. >Des passerelles autres que celles du piétonnier sont jetées d'un quartier à l'autre. Elles n'atteignent pas toujours leur but. Parfois même la situation se crispe. >A vrai dire, les nouveaux habitants s'estiment peu Villeneuvois. Ils le deviennent pourtant, au fil des jours, apprenant la ville à partir de leur quartier.

Cette sectorisation de la vie locale est à la fois un atout et un handicap. Les associations d'habitants constituées très nouvelle les concerne en priorité.C'est devenu leur affaire. Ils se découvrent un objectif: l'accueil des nouvelles populations.L'animation de la ville se fera nécessairement sur la base d'échanges entre ces quartiers. Face à cette diversité, le journal local peut être un des moyens de communication entre ces groupes d'habitants.
En favorisant la circulation de l'information mais aussi en donnant une vue d'en semble de la ville, en appréhendant la situation de façon globale. Le journal est un moyen, il y en a d'autres. Des équipements, tels que le théâtre, l'Université même, peuvent intervenir en suscitant des rencontres. Il faut compter également avec le futur < centre-ville: cette grand place qui fait aujourd'hui si cruellement défaut. Les emplois ne créeront-ils pas eux aussi certaines formes d'interférences ?

La vie locale, par ses multiples facettes est une source d'information intarissable. Chaque situation, chaque individualité a son intérêt. C'est en étant ce témoin, en se faisant le miroir de cette vie que l'informateur participe à sa façon à l'édification de la ville, la rendant plus humaine.